Un lieu sans histoire - extrait d'une lettre d'Astolfo Colaianni à Alessandro Felini -
Les principautés frontalières ont pour principale caractéristiques de n'avoir aucune histoire. Sûrement à cause d'un passé calme et monotone. j'ironise. Il y a sans doute plus de batailles, de massacres, d'invasons, de complots et d'autres choses de ce genre dans les principautés que dans tout le reste du Vieux Monde. Mais personne ne songerait à prendre soin de rassembler de façon systématique les éléments d'une certaine culture. Qui voudrait passer son temps dans les livres et les parchemins quand, tout autour de vous, vous avez la possibilité de combattre et de conquérir pour un bref moment de gloire et de richesse ?
Comprenez-moi bien : je crois fermemement qu'il est plus sage de vivre dans le présent, que de vivre dans un océan de regrets, de souvenirs, de gloires passés et d'ambitions oubliées. Mais ici, les gens ont totalement perdu la notion d'humanité, voire d'homme. L'histoire quoi qu'on en dise, est un professeur, austère et implacable, mais expérimenté.
Le vieux monde en général est assez tourmenté, mais il tente de préserver sa mémoire et sa capacité d'apprentissage à partir de ses erreurs passées. Rien à voir avec la mentalité des gens qui vivent ici.
En plus de cela, les principautés sont le théatre de combats et de pillages ininterrompus. Aujourd'hui, on ne trouve que quelques archives, dans les régions de la Voûte, dans les temples où les prêtres et les responsables civils gardent précieusement les registres des naissances depuis des siècles; mais pour tout le reste des principautés tous les écrits cléricaux, civils ou militaires ont bûlé plus ou moins récemment durant quelque campagne guerrière. Si un érudit tentait de rassembler les données historiques d'une de ces régions sur quelques années, il devrait se contenter du bouche à oreille.
Ainsi, dans ces contrées étranges chacun tente de dominer son voisin, lorsqu'une horde orque ne vient pas mettre une trêve provisoire aux combats entre gens "civilisés", sous prétexte que ce que chaque camp nomme la légitime défense. Parfois un seigneur sort du lot et attire à lui les richesses pendant quelques années voire quelques décennies; et ensuite ? A la fin, il ne reste rien d'autre que ce que j'aperçois par ma fenêtre : un champ immense couvert de tombes identiques dont les noms inscrits que personne n'a jamais lus, s'effacent au fil du temps; des tâches sombres entourées de quelques touffes d'herbe : sous la terre reposent les traces d'actes glorieux, héroïques, les rires des femmes les plus fascinantes, les aboiements des chiens les plus vaillants, des chansons joyeuses chantés avec les amis après avoir bu le meilleur des vins, l'alégresse de la victoire, puis le plus amer... Alors, pourquoi toute cette agitation ? Personne, sans doute, ne pourrait donner un sens à ces morts oubliés, à ces vies détruites, mais peut-être qu'un jour, l'Histoire pourra contribuer à améliorer l'humanité, et pourra aider l'homme à retrouver la valeur de sa vie.